De 1944 à 2004, en passant par 1851

De 1944 à 2004, en passant par 1851

 En reprenant ma documentation sur la Libération, j’ai retrouvé cet article daté du 7 juin 1945 et paru dans LA LIBERTÉ DU VAR, le quotidien issu de la Résistance. Il se veut témoignage sur l’un des épisodes qui ont marqué la vie du Haut Var en 1944, l’investissement de la petite localité d’Aups le 7 juin 1944 par les maquisards voisins. L’article est, sur divers points, fantaisiste et sans doute l’auteur n’y était pas, à moins que ce “ vieux ” journaliste, très compromis par sa collaboration au vichyste Petit Var, ait préféré ne pas se montrer… L’intérêt est ailleurs, il est évidemment dans le rapprochement qui est par lui naturellement fait entre cet épisode de la Résistance et celui que nous savons, la “ bataille d’Aups ” du 10 décembre 1851, au cours de laquelle les insurgés varois ont été sabrés et dispersés.

Quelques jours après la parution de cet article, la Résistance varoise inaugurait plusieurs stèles et plaques commémoratives à Aups, l’une d’elles sur la colonne érigée en 1881 en souvenir de l’insurrection. Tout aussi naturellement, le monument à la “ Résistance ” varoise de 1851 devenait le sien.

 

Jean-Marie Guillon

 

 

CE MATIN-LÀ …

LES MAQUISARDS DU HAUT-VAR S’EMPARAIENT D’AUPS

 

C’était le 7 juin de l’an dernier … La veille, la radio de Londres avait annoncé la nouvelle si longtemps attendue : les Alliés venaient de débarquer sur la côte normande.

Tous les maquis, en alerte, tressaillirent … Le grand jour était venu, du baroud tant espéré.

Je me trouvais à Aups, en congé, dans une pension à l’écart du village, où des “ suspects ”, pour la plupart israélites, s’étaient mis à l’abri. J’avais moi-même confié ma gosse à l’aubergiste, la bonne maman Albouy.

Ce matin-là, en revenant de son marché, notre hôtesse nous dit :

–         Ils sont là !… Ils sont descendus.

–         Les boches ?

–         Non ! Les maquisards ; ils ont pris la poste, la mairie. Ils ont enlevé le receveur, le pharmacien[1]. Ils ont collé des affiches… Il n’y aura pas de bruit, au moins, dites ? Les Allemands sont si près… Ils sont à Carcès…

–         Du bruit ? On verra bien ! Si le Jour V est là, ce n’est pas le moment de s’attarder sur ses suites… On l’a tant souhaité ce jour !

On déjeune sur le pouce, et nous voici à Aups, qui a retrouvé son atmosphère de 52, que perpétue, sous les platanes de la grand’place, la colonne élevée à la mémoire des défenseurs de la République, morts pour elle, et le respect des lois.

Les petits-fils des proscrits du Bas-Empire n’ont pas fait mentir leur race. Les voici, fidèles, qui continuent l’exemple de leurs aînés.

Pistolets, mitraillettes au poing, cheveux au vent, mal chaussés, avec, au menton, des barbes d’une semaine, ils ressuscitent magnifiques, les sans-culottes de 92.

D’abord, les boutiques se sont fermées… Il y a, dans l’air, une odeur de poudre qui flotte… Cela sent la bataille imminente…

Mais les maquisards vont de porte en porte, rassurent les gens – Aups est surpeuplé… Trois mille repliés l’habitent depuis les bombardements. Les enfants, les vieux s’y comptent par centaines. On craint pour eux…[2]

Une affiche collée aux coins des rues vient apaiser ces craintes. On y lit : “ Front National… Que chacun vaque à ses affaires. La population n’a rien à craindre des réfractaires. Ils viennent pour la protéger et la ravitailler. Mort aux boches et aux traîtres ! Vive la République ! ”

Les boutiques rouvrent… On respire ; et d’autant que la matinée se passe sans incident.

Les maquisards patrouillent, tiennent les routes d’accès au village.

Vers la fin de l’après-midi, un fridolin passe en trombe à motocyclette. C’est un éclaireur envoyé par la Kommandantur. Il met pied à terre sur la grand’ place et, ayant, d’un coup d’œil, jugé la situation, il s’engouffre dans le poste de la gendarmerie, dont il referme sur lui la porte.

Il n’en sortira pas vivant.

Une chape de silence est établie autour de l’immeuble. Un piège, auquel le boche, après quelques heures d’attente, se laisse prendre. Il ouvre la porte de son refuge, fait un pas au dehors, et tombe, les bras en croix, le nez contre la terre, abattu par une rafale de mitraillette.[3]

–         Au frais ! s’exclame le maquisard qui guettait la sortie du frisé…

Le lendemain, boches et miliciens envahissent le village. Mais les seconds, seulement, entrent en contact avec les habitants, qu’on menace de quelque Oradour. Soixante-dix hommes sont chargés sur un car et emmenés sur un chantier allemand, à Fréjus[4].

Sera-ce tout, pour payer la mort du Fritz ?

Non : une battue milicienne suit cette démonstration. Deux maquisards tombent sous les balles des salauds.[5]

Deux jours plus tard, leurs cadavres retrouvés et ramenés au village. Aups leur fait des obsèques solennelles, à la barbe du préfet. Tous les magasins sont fermés. La population tout entière accompagne au cimetière, ces morts pour la Patrie…[6]

1851 rejoint 1944…

–         Ils sont sortis trop tôt ! disaient les vieux, au soir de cette journée…

Les héros authentiques ne savent pas attendre.[7]

 

Victor Petit

 



[1] Cette occupation de la localité est une parmi bien d’autres ce jour-là. Il y en eut aussi à Valréas, Vaison, Forcalquier, pour ne citer que les plus importantes de la région. À Aups, ce sont les FTP du camp Robert qui jouent le rôle majeur. Mais les autres groupes de Résistance y participent aussi. Le maquis arrête 5 personnes dont 2 femmes (qui seront condamnées à mort comme agents de la Gestapo).

[2] Aups est une station de villégiature d’été. Mais, en plus, depuis que Toulon a été régulièrement bombardée, une partie de ses habitants sont partis ou ont été évacués. Beaucoup se sont réfugiés dans les villages varois.

3 Bien que l’affaire ne se soit pas exactement passée comme il est écrit, un motard allemand a bien été abattu devant la gendarmerie. Le soir, une petite colonne venue de Draguignan sera interceptée par les résistants, perdra deux hommes et rebroussera chemin avec 2 otages.

[4] Ce n’est pas le lendemain mais le 12 que la Milice du Var et celle de Marseille investissent la localité en représailles. Cette action résulte d’une négociation entre le préfet et un commandement allemand fort heureusement peu sanguinaire. La sanction, c’est effectivement l’envoi au travail sur la côte des hommes valides de la ville.

[5] Là encore, le texte est fantaisiste. Le 12, la Milice de Marseille a installé des barrages sur les routes, autour du village et, malencontreusement, un camion du maquis de l’Armée secrète (maquis Vallier) a été intercepté. Il transportait 4 hommes dont 2 gendarmes d’Aups passés au maquis. L’un d’eux a pu fuir, mais son collègue et le chauffeur (Duchatel et Millet, de Hyères) ont été illico fusillés. Le 4e homme, porteur d’une arme, a été arrêté et conduit à Marseille.

[6] Cet unanimisme derrière les morts du maquis se retrouve partout. Dans la commune voisine de Salernes, en février 1944, dans les mêmes circonstances, une agent de la Gestapo envoyée pour espionner, inscrivait dans son rapport que la population avait fait au maquisard des “ obsèques nationales ”.

[7] Après le 12 juin, Aups, gardant le contact avec les maquis voisins, sera régulièrement investi par les occupants et leurs auxiliaires. Le 22 juillet, plusieurs habitants et maquisards seront tués dont une jeune fille de 17 ans qui avait cherché à alerter les résistants. Le camp Robert, attaqué, perdant deux de ses chefs, rejoindra les FTP des Basses-Alpes, mais une nouvelle attaque à Sainte-Croix, le 11 août, cause la mort de 11 hommes.