LO CÒP D’ESTAT

LO CÒP D’ESTAT DE 1851

Gaston BELTRAME

Éditions Rescontres

Centre Dramatique Occitan

1974

cinquième partie

 

LA VEILLÉE

 

FILLE 1

 

Alors, mamé, raconte

 

FILLE 2

 

Oui, raconte-nous ce qui s’est passé.

 

LA VIEILLE

 

Ah ! mes enfants, si vous aviez vu, c’était magnifique !… Le matin même, nous avions arrêté les gendarmes et nous nous étions emparés de leurs armes. En y ajoutant les fusils pris aux bourgeois et aux patrons, nous avions de quoi nous défendre. Et je vous jure qu’on s’apprêtait à les recevoir ces mercenaires du pouvoir.

 

FILLE 1

 

Ils le méritaient bien, ces traîtres

 

FILLE 2

 

Et dire qu’on parle encore de l’armée de la République !

 

FILLE

 

L’armée des tyrans, oui !

 

FILLE 2

 

Et après ?

 

LA VIEILLE

 

Après ! (Un temps). C’est pas possible de s’imaginer notre joie quand, par une déchirure du feuillage, nous vîmes apparaître, rutilant dans le soleil, le drapeau des prolétaires. Une ovation terrible fit frémir chênes et châtaigniers. Ils étaient là, cinq cents peut-être, venus de Saint. Tropez, de Gassin, de Grimaud, de Cogolin. En tête de la colonne, il y avait Martel, le serrurier, Campdoras, le chirurgien, Ferrier, le charron, que la population de Grimaud avait mis à la tête de la Municipalité insurrectionnelle. Il y avait aussi sa femme, Césarine, toute fraîche de ses vingt-et-un ans et que les volontaires avaient surnommée “la déesse raison”.

 

(Elle s’arrête… et rêve…)

 

FILLE 1

 

Et Campdoras ?

 

LA VIEILLE

 

Campdoras ! Ah, Campdoras ! C’était un bel homme, robuste. Il avait vingt-sept ans à l’époque… et il a dû en faire rêver plus d’une. Campdoras, c’était un homme droit, vif, décidé, un homme qui avait tout lâché pour la cause républicaine. Il était chirurgien de la marine d’Etat, embarqué sur “Le Pingouin”. Au moment des événements, son bateau avait jeté l’ancre dans le Golfe. Et il a tout quitté pour rejoindre les rangs de l’insurrection.

 

FILLE 1

 

Oh ! Mamé, comme tu en parles !

 

FILLE 2

 

T’en as été amoureuse ?

 

LA VIEILLE

 

Oh ! c’est si loin tout ça que je peux bien l’avouer. Si vous l’aviez vu ! Il portait une belle barbe brune, vous regardait de ses yeux mouvants comme la mer et penchait vers vous son grand corps robuste, avec une gentillesse, une amitié qui vous allait droit au cœur. Quand il parlait à la foule, il faisait l’enthousiasme : notre belle langue roulait, fougueuse, impétueuse, violente comme les torrents des Pyrénées où Antonin Campdoras avait vu le jour. Il me semble encore l’entendre expliquer aux volontaires pourquoi il fallait porter bien haut le drapeau rouge. Ecoutez !

 

(Noir. Lumière sur Campdoras).

 

CAMPDORAS

 

Manescaus, estamaires, abrasaires, roliers, barricaires, vinhairons, boscatiers, sabatiers, carretiers, pescaïres e peissoniers, bochoniers e bochonieras, obriers e paisans, lo drapèu roge es lo drapèu dau pòple. Un morsèu de camisa, un jorn tombèt dins la sang d’un que veniá de morir sus d’una barricada. E son fraire de lucha a levat dins lo cèu l’estraça ensagnosida… Lo drapèu roge es lo fraire dau drapèu negre : totei dos an simbolizat la resistència dei canuts de Lion, deis obriers de Paris, dei trabalhaires d’Occitània… Lo drapèu tricolòr es lo blason de la borgesiá, dei Loïs-Filipards, dei Napoleon e de toteis aquéleis que menan lo pèple a la guerra, au malastre, a la misèria… Naissut de la mescladissa dau blanc, pèr lo Rèi, dau roge e blau pèr Paris, lo drapèu tricolòr podiá que venir lo signe de l’autoritarisme e dau centralisme. Lo drapèu tricolôr es lo drapèu dei franchimands… L’estraça roja, ela, a ges de nacionalitat. L’estraça roja es l’espèr dei pèples de la terra, dei trabalhadors de pertot ; es la rampelada deis obriers d’aici coma d’ailà… L’estraça roja es lo primier mot de la “Bòna”, la clau de l’ostau dei partejaires.

 

(Noir et retour à la veillée).

 

UNE FILLE

 

C’était pas une époque de tout repos ! (Un temps). Et les femmes dans tout ça, que faisaient-elles ?

 

LA VIEILLE

 

Peut-être ne savez-vous pas que les bouchonnières de la Garde-Freinet ont été les premières, en Occitanie, à apparaître dans les grèves et les manifestations de rues. Il fallait les entendre ces messieurs du pouvoir ! D’ailleurs, il va vous le dire, le Procureur Général près la Cour d’Appel d’Aix, ce qu’il a écrit, le 7 mars 1850, au ministre de la justice.

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

 

“Monsieur le ministre, voici une nouvelle forme du socialisme dans le Var : les femmes sont appelées à se mêler de politique et à figurer dans les manifestations publiques. La commune de La Garde-Freinet, qui avait pour maire ce Mathieu, nommé Procureur de la République à Draguignan et renvoyé actuellement en cours d’assises, en avait donné le premier l’exemple”.

 

UNE FILLE

 

Qui c’était, ce Mathieu ?

 

LA VIEILLE

 

Un avocat, un rouge, un vrai ! Maire de La Garde-Freinet. Et savez-vous pourquoi le Préfet du Var l’avait fait passer en Cours d’assises ? Parce qu’il lui reprochait d’avoir troublé l’ordre publie.

 

UNE FILLE

 

C’est pas possible !

 

LA VIEILLE

 

Pas possible! Le Préfet Haussmann l’accusait, ce qui était vrai d’ailleurs, d’avoir, le 31 octobre 1849, conduit dans les rues de La Garde-Freinet, une promenade-farandole composée de femmes et suivie de jeunes gens proférant des chants et cris politiques ; et ce qui, paraît-il, aggravait encore les choses, c’est que la manifestation s’était déroulée à 9 h. 30 du soir.

 

UNE FILLE

 

Mais la farandole, c’est une danse bien gentille

 

LA VIEILLE

 

Maintenant, sans doute, avec ce qu’en ont fait les félibres ! Mais à cette époque, c’était l’art d’isoler les gendarmes à cheval et d’affoler les bêtes, tout en criant les revendications ouvrières.

 

UNE FILLE

 

Et les femmes ? ça n’a pas dû être facile pour elles

 

LA VIEILLE

 

Tout ce que le Var connaissait de réactionnaire s’est mis à les traîner plus bas que terre : elles étaient chargées de tous les maux, de tous les vices.

 

LE JUGE DE PAIX

 

Nous, Juge de Paix du canton du Lue, expliquons comme suit la contagion qui s’étend aux autres villages :

 

“La commune de La Garde-Freinet a donné l’exemple de l’atteinte à la Morale publique en réunissant les femmes et les filles pour les faire participer à la politique. Cette marche a un double but : favoriser la débauche et exalter l’opinion socialiste”.

 

UTU FILLE

 

Hé bé ! ça devait être de drôles de femmes pour arriver à inquiéter autant les réactionnaires

 

UNE AUTRE

 

Comment ça a été possible un tel mouvement ?

 

LA VIEILLE

 

Eh bien, cela tenait à plusieurs éléments. D’abord le travail du bouchon, c’est un travail qui dure toute l’année, et dans lequel on a besoin de beaucoup de main-d’œuvre. Ensuite, c’est un travail aux pièces, ce qui fait qu’une femme travailleuse arrivait à avoir le même salaire qu’un homme. Après… ça coule de source, non ?

 

UNE FILLE

 

Bien sûr ! Les luttes revendicatives vont être communes et, du fait même de la mixité, les bouchonnières se trouveront tout naturellement dans le courant des idées socialistes.

 

LA VIEILLE

 

Exactement ! Non seulement elles mèneront les grèves et les manifestations à égalité avec les hommes, mais en août 1849, elles créeront la première “Société de prévoyance” féminine.

 

UNE FILLE

 

Et en décembre 51, qu’ont-elles fait ?

 

LA VIEILLE

 

Presque tous les ouvriers partirent dans la colonne républicaine. Toutes réunies, les femmes leur ont crié : “Aportatz-nos la Bòna !”. Puis elles ont monté la garde, en armes, s’il vous plaît, à la mairie et aux accès du village. Certaines, qui n’avaient pas d’enfants, sont parties avec la colonne, comme Césarine Ferrier.

 

UNIE FILLE

 

La femme de Ferrier, le charron, le maire rouge de Grimaud !

 

LA VIEILLE

 

Oui ! elle ! Elle a marché jusqu’à Aups avec l’armée des républicains, sabre au côté. La commission mixte l’a condamnée à la déportation à Lambessa, avec Céline Monge, la femme du médecin de Baudinard, et Solange Lonjon, une belle fille de vingt-six ans.

 

UNE FILLE

 

Et il y en a eu beaucoup de femmes qui ont marché avec la colonne ?

 

LA VIEILLE

 

Elles étaient plusieurs dizaines. Heureusement, il n’y en a eu que seize, et c’est déjà beaucoup, qui sont passées devant la commission mixte.

 

UNE FILLE

 

Et que leur reprochait-on ?

 

LA VIEILLE

 

D’avoir porté le drapeau rouge à la tête des contingents républicains. Et elles avaient fière allure, tout de rouge vêtues, comme Césarine Ferrier, Elisabeth Bonnet, Virginie Rouvier, Thérèse Malaire, Solange Lonjon… et, c’était pas que des femmes de notables ; il y avait des marchandes, des couturières, des cultivatrices, des bouchonnières… et elles chantaient l’air de la “Coucourde”.

 

TOUTES

 

Buvèrn a la Cogorda

Farem onor au cogordier.

Enfants de la montanha

Se rapelaràn de Febrier.

 

LA VIEILLE

 

Ces femmes, elles étaient de Grimaud, de Vidauban, du Luc, des Mayons, de tous les villages autour de La Garde-Freinet. Le mouvement féministe a même atteint Gonfaron. Té ! Ecoutez le Juge de Paix de Besse.

 

LE JUGE DE PAIX

 

“Monsieur le Procureur de la République, à Brignoles. La commune de Gonfaron est la plus industrielle et celle qui renferme le plus grand nombre d’ouvriers ; c’est celle aussi qui paraît la plus exaltée en ce moment. L’anniversaire de la République serait passé inaperçu dans le canton si, le 24 février de cette année 1851, on n’avait pas vu, dans cette ville, des farandoles sur les places publiques, farandoles auxquelles des femmes même ont pris part. Des femmes, Monsieur le Procureur, des femmes dans une farandole ! ”

 

TOUTES

 

Buvèm a la Cogorda

Farem onor au Cogordier.

Enfants de la Montanha

Se rapelaràn de Febrier. ”

 

LA VIEILLE

 

Et ce fut bien pire quelques mois plus tard, très exactement en novembre 1851. Cette fois-ci, c’est le sous-préfet de Brignoles qui fait part de son inquiétude au préfet, devant la vague d’immoralité révoltante qui envahit Gonfaron.

 

(Le sous-préfet ne se manifeste pas tout de suite).

 

UNE FILLE

 

Ont es passat monsur lo sos-prefècte ? Esperam nosàutrei !

 

UNE AUTRE

 

Bensai qu’a paur de parlar ! Es un suça-esposson, un crestat, un cuou benesit, un chimaire d’aiga-senhada.

 

UNE FILLE

 

Adonc, monsur lo sos-prefècte, sabèm qu’avètz totjorn assajat de faire prene un gat pèr una lèbre ; mai fau pas s’estrementir : mandatz-lei vòstreis asenadas !

 

LE SOUS-PRÉFET (bafouillant)

 

Monsieur le Préfet. Je suis atterré, littéralement atterré, par ce que mon devoir m’oblige à rapporter. Songez, Monsieur le Préfet, que des mères de famille ont déclaré à l’instituteur communal qu’elles ne voulaient pas que leurs enfants apprissent le catéchisme ni qu’ils assistassent aux offices divins ; des mères de famille, Monsieur le Préfet ! L’une d’elles, parodiant les litanies des saints a appris à son fils à ajouter au nom de Dieu et de la Vierge, des épithètes que la plume se refuse à reproduire.

 

CHŒUR DES ENFANTS

 

Lo Jèsus pichonet

La Vierge lo brandava.

E ara qu’es grandet

Si branda tot solet.

 

LE SOUS-PRÉFET

 

Ces femmes exaltées multiplient les réunions autour de l’Arbre de la Liberté, les chants, les danses, les cris de “Mort aux blancs”.

 

TOUTES

 

Meis amies, lo melhor plan

es d’ensertar lei blancs.

Afin que n’escape plus ges

leis ensertarem en carronet.

Pèr qu’agan pas de regetons

Fau copar jusqu’ai sagatons.

 

LE SOUS-PRÉFET

 

Elles donnent à leurs animaux domestiques des noms de saints, mettent des rubans rouges aux chapeaux de leurs enfants. Ah ! Monsieur le Préfet, elles ont toutes les dispositions possibles pour remplacer les “tricoteuses de 93”.

 

(Monte le chant)

 

LA MARSEILLAISE DES VÉSUVIENNES

 

 

Tremblez tyrans portant culotte.

Femmes, notre jour est venu.

Point de pitié, mettons en vote

Tous les tordus, sexes barbus, (bis)

Voilà trop longtemps que ça dure

Notre patience est à bout.

Debout vésuviennes, debout

Et lavons notre vieille injure.

 

                       

Refrain

           

Liberté, sur nos fronts

Verse tes chauds rayons.

Tremblez ! Tremblez ! maris jaloux.

Respect aux cotillons

 

II

 

L’homme, ce despote sauvage

Eut soin de proclamer ses droits.

Créons des droits à notre usage.

A nos usages ayons des lois (bis).

Si l’homme, en l’an 93,

Eut soin de ne songer qu’à lui

Travaillons pour nous aujourd’hui.

Faisons-nous une Marseillaise.

 

(au refrain).

 

On dit qu’Eve, notre grand’mère,

N’avait chemise ni maillot.

Supprimons notre couturière.

Oui, la couturière est de trop (bis).

La liberté, chaste amazone,

N’admet ni voile ni verrou.

A la barbe de nos époux,

Luttons comme Atlas et démones.

 

(au refrain).

 

 

CUERS

 

 

LE RÉCITANT

 

Ils sont là sur la place ; paysans et ouvriers, avec leurs femmes et leurs enfants. L’annonce du coup d’Etat les a jetés dans la rue ; ils ressentent la provocation de Napoléon-le-Petit comme une injure personnelle. Les quelques réactionnaires notoires et les légitimistes décadents n’osent se montrer. Ils se terrent, tremblent pour leurs biens et pour leurs privilèges. Confiante dans son avenir, sûre de son bon droit, Cuers est en fête.

 

oc 1

 

O ! Jòrgi, trabalbas pas ?

 

oc 2

 

Que non ! Vòli pas mancar lo primier jorn de la Bòna !

 

oc 1

 

Ti compreni. (Un temps). Vesi que siás pas vengut solet !

 

oc 2

 

Una jornada coma aquela se deu gravar dins la remembrança de totei e encara mai dei piebons.

 

oc 1

 

As rason.

 

oc 2

 

Aqueste còp li siam ! Lo tèmps de justicia es arribat !

 

oc 1

 

Fau esperar !

 

oc 2

 

Es segur. Cadun a que de portar sei pèiras ai clapàs, e deman viurem la Bòna.

 

oc 1

 

O ! Tòni !

 

oc 3

 

O ! l’amic !

 

oc 1

 

Coma va, Tèsta de Peis ?

 

oc 4

 

Va bèn.

 

oc 2

 

Aqueste còp, li siam.

 

oc 4

 

Ti crèsi que li siam !

 

oc 1

 

Viva la libertat !

 

oc 2

 

Viva la sociala !

 

oc 3

 

Viva la Bòna !

 

TOUS

 

Viva la Bòna !

 

LF RÉCITANT

 

Mais les gendarmes arrivent. Le maire apeuré a fait appel à eux. Il leur donne l’ordre de faire évacuer la place. Personne ne bouge et le bon peuple rit des efforts grotesques déployés par les pandores. Bientôt, le brigadier et ses hommes sont entourés, ballottés par le mouvement de la foule. Soudain, un coup de feu claque. Un gendarme s’écroule, tué net…

 

(Un comédien tombe, les autres s’écartent).

 

… et Jaquon reste là, stupide, hébété, ne comprenant pas ce qui vient de se passer.

 

JAQUON

 

Es pas verai !… Ai rèn comprés… m’an mes un fusiu dins la man… e puèi… Non !… Non ! es pas verai. Es pas possible…

 

(Il regarde autour de lui, les autres font un pas en arrière).

 

LE RÉCITANT

 

Jaquon, paysan de 22 ans, meurtrier sans le vouloir, victime de la provocation des forces dites de l’ordre.

 

(Le cercle s’élargit, laissant Jaquon seul devant le cadavre ; puis, lentement, comme un ralenti cinématographique, comme une danse du scalp autour du cadavre du gendarme ; elle prendra un rythme plus rapide après que le reporter de la réaction aura fini sa tirade).

 

LE REPORTER RÉACTIONNAIRE (voix hystérique)

 

Alors la populace, ivre de fureur et avide de sang, se met à danser une sarabande effrénée autour du corps du malheureux gendarme, tué dans l’exercice de ses fonctions. Regardez les infâmes rouges ! Qu’ils prennent le pouvoir et demain la France tout entière sera mise à feu et à sang ; le pays voué à la destruction, à la misère, à l’anarchie.

 

(Cris guerriers, danse, tam-tam).

 

oc

 

Arrestatz lei colhonadas ! S’es pas debanat coma aquò. Mai ara, pòdon dire çò que vòlon : lei jornaus ambé l’informacion son dins lei mans deis opressors. L’istòria deis indians foguèt jamai l’òbra deis indians. L’òme blanc pèr justificar son crime a escrich tòtei lei messorgas pèr far creire que l’indian èra un manja-crestians. Mai es pas verai. Nosàutrei tanbèn siam totei d’indians, nos an levat la paraula.

 

LOUIS-NAPOLÉON

 

Vu les circonstances exceptionnelles, me voici amené à prendre les mesures indispensables au maintien de l’ordre et à la paix des esprits. Trop de gens perfides, de calomniateurs, de traîtres à la Patrie, abusent des libertés, notamment de la Presse. Tous se liguent pour déchaîner des passions mauvaises et pour jeter ainsi le trouble dans les âmes. Vous ne voulez pas, je le sais, que continue cet état de malaise qui nous dégrade et nous avilit. En conséquence, nous mènerons à terme notre mission, qui consiste à fermer l’ère des révolutions, en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Seuls pourront paraître : Le Moniteur, La Patrie, et Le Constitutionnel, journaux propres et impartiaux.

 

oc 1

 

An fach cremar lei libres.

 

oc 2

 

An embarrat leis estampaires.

 

oc 1

 

An condemnat leis escrivans.

 

oc 2

 

Ara, es enebit de pensar.

 

oc 1

 

Es enebit de rire.

 

oc 2

 

Perqué dison que lo rire es provocacion.

 

oc 1

 

Fau rire… rire… rire… (il essaie de rire). Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (et son rire s’étrangle dans un sanglot).

 

oc 2

 

Avèrn agut tant de malastres que nòstra garganta s’es rovilhada.

 

oc 1

 

Remembre-ti

 

NOEL BLACHE (journaliste)

 

Souvenez-vous ! Souvenez-vous de l’entrée dans Cuers du 50e de ligne, commandé par le colonel Trauers et le préfet Pastoureau. La première colonne prit la Quiérade pour redescendre ensuite la rue Saint-Pierre, où se trouvait “La Pomone” (le cercle républicain le plus actif de Cuers). L’autre suivit le grand chemin. Elle devait remonter la même rue Saint-Pierre. “La Pomone”, non prévenue, était ainsi cernée de tous les côtés. A la même heure, un cultivateur du nom de Panisson, quittait “La Pomone” et rentrait chez lui en remontant la Quiérade. Il faisait une de ces nuits d’hiver splendides, dont la Provence a le secret. Un bruit de pas, lents et cadencés, frappa les oreilles de Panisson… Au clair de lune, le paysan vit luire les baïonnettes de la troupe. Effrayé, il s’engagea précipitamment dans la rue de la Fontaine d’Hugues… Parvenu à l’extrémité de cette rue, il se heurte à la tête de l’autre colonne… Près de la route se trouvait une sorte d’égout. Panisson, pour se soustraire aux regards des soldats, essaya de s’y enfouir… Mais il avait été aperçu ; plusieurs balles et des coups de baïonnettes l’atteignirent dans sa retraite… Panisson fut apporté, d’autres disent traîné, jusqu’au pied d’un platane, sur la place de la mairie. Malgré ses nombreuses blessures, cet infortuné respirait encore. Jusqu’à six heures du matin, il resta là, geignant et pleurant sous la glaciale étreinte de la mort, demandant qu’on l’achevât ! A six heures, il fut transféré à la chapelle de lHospice et placé sur les dalles, où il expira enfin ! Il était horriblement défiguré et sa veuve, éplorée, ne le reconnut pas.

 

(Pendant tout ce récit, un comédien mime le rôle de Panisson, de façon très sobre et au ralenti).

 

oc 1

 

E fasiá que de començar ! Lo prefècte Pastoureau juega l’inquisitor e sangola lo vilatge. 417 òmes son arrestats, encadenats, puèi mandats dins lei gabiòlas dau fôrt Lamalga de Tolon.

 

oc 2

 

417 òmes !

 

oc

 

Oc. Sabes çò que representavan 417 òmes ?

 

oc 2

 

Non !

 

oc 1

 

417 òmes èran la mitat d’aquélei que trabalhan. Auriá vougut faire crebar lo vilatge qu’auriá pas cercat d’autrei engàmbis ! Cuers que comptava 5380 personas, se tròba ambé 3800 en quàuqueis annadas.

 

oc 2

 

Pèr nosàutrei èra parier. Pastoureau a fach coma pèr la conquesta d’Argeria : a mandat de companhiás dau 50e de linha dins lo vilatge. Lei soldats amb una bilheta de lotjament s’installan dins leis ostaus, manjan lo melhor, s’empegan ambé lo vin e l’aiga-ardént, fòrçan lei fremas e lei dròllas, e escotèlan d’aquélei que vòlon resistir.

 

(Noir).